La complexité, du côté du discours scientifique

Dans la recherche scientifique actuelle concernant l’étiologie, l’évolution et les traitements du TSA, la très grande hétérogénéité des résultats des études met clairement en évidence la complexité du syndrome. À ce titre, elle est le plus souvent considérée par les chercheurs comme un obstacle au progrès des connaissances, car elle ne permet pas de conclure de façon assurée à la question posée dans la recherche.
            Prenons un exemple fictif et simplifié[1]. Des chercheurs souhaitent évaluer les effets de la méthode pédagogique « StepToStep » auprès des enfants autistes. Les chercheurs vont sélectionner vingt enfants qui ont un âge et un quotient intellectuel équivalents (évalué au moyen d’un test de QI). Ces vingt enfants vont être distribués de façon aléatoire dans deux groupes : les enfants du premier groupe participeront à la méthode « StepToStep » durant trois mois, tandis que les autres enfants feront partie d’un « groupe témoin ».
 
Un test de QI sera à nouveau réalisé pour l’ensemble des enfants après trois mois. Imaginons que les résultats de l’étude démontrent que les enfants qui ont participé à la méthode « StepToStep » ont en moyenne mieux progressé que les autres au niveau du QI :
 

 
Toutefois, les résultats individuels des dix enfants ayant participé à la méthode StepToStep mettent en évidence une grande hétérogénéité des résultats :
 

 
            Si Chloé, Luc, Célia et Philippe ont nettement progressé avec la méthode « StepToStep », les résultats de Manon et Martine sont plus mitigés, tandis que Jean, Lea, Lucie et Marc ont des scores plus bas après l’intervention qu’avant. Les auteurs pourraient conclure que la méthode « StepToStep » est une méthode efficace pour développer l’intelligence des enfants autistes (5 points de gain de QI en moyenne après trois mois), tout en reconnaissant une très forte variabilité des résultats (écart-type de 7).
            Du point de vue des scientifiques, la grande variabilité des résultats est un problème important, car cela amoindrit la portée de l’efficacité de la méthode d’intervention évaluée. Ils cherchent donc des façons d’obtenir des résultats plus homogènes. Une façon de faire est par exemple de constituer des sous-groupes[2] et de chercher si la méthode d’intervention a de meilleurs résultats pour tels et tels sous-groupes.
            Dans notre exemple fictif, imaginons que trois sous-groupes soient créés en fonction des progrès réalisés (pas de progrès ; progrès mitigé ; progrès important) et que des tests génétiques soient réalisés, afin de voir si les différences au niveau des progrès réalisés avec la méthode « StepToStep » sont corrélées avec telle ou telle caractéristique génétique[3]. Si les résultats s’avèrent significatifs, cela permettrait de conclure que tel pourcentage des enfants qui ont telle caractéristique génétique est susceptible de faire des progrès avec la méthode « StepToStep », contrairement aux enfants qui ne présenteraient pas cette caractéristique génétique.
            Néanmoins, cette façon d’envisager la diversité au sein de l’autisme rencontre des limites importantes : d’une part, certains chercheurs ont récemment pu mettre en évidence qu’il n’y a pas plus de liens génétiques entre des personnes issues d’un même sous-groupe qu’entre deux personnes de sous-groupes différents. D’autre part, découper le spectre de l’autisme en sous-groupes peut avoir des effets ségrégatifs importants.
 
 

[1] Voici la référence de l’étude scientifique qui a inspiré la construction de notre exemple fictif : Dawson, G., Rogers, S., Munson, J., Smith, M., Winter, J., Greenson, J., Varley, J. (2010). Randomized, controlled trial of an intervention for toddlers with autism: The early start denver model. Pediatrics, 125(1), e17-23.
[2] Par exemple, tel sous-groupe est constitué des personnes avec TSA qui ont en commun tel niveau de gravité des symptômes, tel niveau de retard mental, tel type de retard de langage, tel trouble associé à l’autisme, etc.
[3] Par exemple, les deux groupes de chercheurs suivants s’inscrivent dans cette perspective de la constitution de sous-groupes dans l’espoir de trouver des stratégies thérapeutiques plus spécifiques : (1) Georgiades, S., Szatmari, P., & Boyle, M. (2013). Importance of studying heterogeneity in autism. Neuropsychiatry, 3(2), 123-125 ; (2) Jeste, S. S., & Geschwind, D. H. (2014). Disentangling the heterogeneity of autism spectrum disorder through genetic findings. Nature Reviews. Neurology, 10(2), 74-81.